Olivier Debré (1920-1999)
Abstraction, 1948
Huile sur toile
Signé des initiales en bas à droite et daté 48
14 x 22 cm
Certificat d’authenticité de Madame Sylvie Debré-Huerre fait en 2020.
Le tableau sera inclus dans le catalogue raisonné en préparation par la Fondation Debré.
Né en 1920 à Paris, Olivier Debré grandit dans un environnement intellectuel et artistique. Formé à l’architecture puis aux Beaux-Arts, il se tourne très tôt vers la peinture. En 1937, la découverte de Guernica de Picasso à l’Exposition universelle de Paris marque un tournant décisif : frappé par la puissance émotionnelle de l’œuvre, il choisit de devenir peintre. Sa rencontre avec Picasso en 1941 le conforte dans cette voie et le pousse à rejeter tout académisme pour inventer un langage pictural personnel, « sans passer par la représentation ».
À la fin des années 1940, Debré côtoie Pierre Soulages et participe au Salon des Surindépendants. En 1949, il expose pour la première fois en solo à la Galerie Bing et installe rue Saint-Simon l’atelier qu’il conservera toute sa vie. C’est à cette époque qu’il amorce sa transition vers l’abstraction avec les Signes-personnages, formes gestuelles encore allusives mais déjà porteuses d’une puissance expressive singulière. Il développe alors une technique fondée sur l’empâtement et les aplats colorés, travaillés au couteau ou à la truelle, dans une matière « maçonnée », construite couche après couche, laissant apparaître la trace du geste.
En 1953, Olivier Debré connaît un premier succès avec ses Signes-paysages, où il cherche à exprimer l’émotion d’un lieu à travers une abstraction gestuelle. En 1959, son exposition à la Phillips Gallery de Washington et sa rencontre avec Franz Kline et Mark Rothko renforcent son rapport à la monumentalité et à la vibration chromatique.
À partir des années 1960, il développe une gestuelle ample et libre, propre à ce qu’on appelle l’abstraction lyrique, qu’il préfère qualifier d’« abstraction fervente », tant l’émotion s’y incarne dans le signe. Sa peinture, travaillée en profondeur, acquiert une sensualité proche de celle de Rothko, Kline ou Riopelle. Ses expositions à la Galerie Knoedler à Paris et à New York le consacrent à l’international.
Plus tard, il transpose son langage abstrait dans des œuvres monumentales, comme les rideaux de scène de la Comédie-Française (1987) et de l’Opéra de Hong Kong (1989). Très attaché à la nature, il peint aussi sur le motif, en particulier la Loire et les paysages norvégiens, travaillant in situ, à même le sol, dans une approche proche de celle de Monet.
Notre œuvre peinte en 1948, de petit format s’inscrit dans une période charnière de la carrière d’Olivier Debré, marquée par une recherche plastique intense. Elle se distingue par une matière dense, posée en couches épaisses, presque sculptées, qui confère à la surface une qualité tactile et organique. Cette manière de travailler la peinture évoque les « maçonneries » de Nicolas de Staël, dont Debré partage, à la même époque, le goût pour les surfaces denses et les empâtements généreux. Tous deux construisent leurs toiles par superposition de couches épaisses conférant à la peinture une consistance minérale, tactile. Chez Debré comme chez de Staël, la structure naît de la couleur elle-même, posée en blocs ou en nappes, non comme un simple revêtement, mais comme une forme vivante. Leur démarche commune traduit une même volonté de faire surgir l’émotion par la matière, de dépasser les oppositions entre figuration et abstraction, et d’atteindre une vérité picturale à travers l’énergie du geste et l’intensité des rapports chromatiques.
Ce goût pour la structuration chez Debré n’est pas anodin : il puise sans doute dans sa formation initiale d’architecte, l’organisation rigoureuse du plan pictural. La composition repose ici sur un réseau de lignes noires ou brunes très marquées, formant une trame anguleuse, presque calligraphiée, qui traverse la surface et cloisonne la couleur en zones dynamiques. Ce maillage évoque les recherches d’Hans Hartung dans ses premières œuvres tachistes où le trait devient tension graphique et expression nerveuse. Debré, toutefois, ne cherche pas l’automatisme mais la densité du ressenti. Son signe, plus charnel, s’ancre dans une matière vivante.
La palette, dominée par des verts profonds, des bleus outremer et des ocres brunis, est rehaussée de touches de rouge carmin et de brun violacé. Ces tonalités sourdes, volontairement atténuées, sont caractéristiques de la peinture d’après-guerre, où la retenue chromatique fait écho à une époque marquée par la reconstruction, l’intériorité et parfois le silence. Cette économie de moyens rejoint les œuvres de Serge Poliakoff, ou encore d’André Lanskoy, autre figure de l’abstraction parisienne des années 1940–50, qui, comme Debré, conçoit la couleur comme un langage autonome. Chez Debré, la couleur pulse davantage : elle est appliquée avec une énergie brute, presque instinctive, à l’aide d’un pinceau, ou peut-être directement au couteau. Ce mode opératoire l’apparente aux premiers élans de l’abstraction lyrique, telle qu’elle se développe dans les années d’après-guerre en France, mais aussi aux États-Unis chez Franz Kline, que Debré rencontrera un peu plus tard, et dont il partage cette impulsion vers une peinture geste.
La matière picturale, très empâtée, capte la lumière et anime la surface en multipliant les reflets, les creux, les strates. Comme chez Jean-Paul Riopelle, autre maître des empâtements expressifs, la densité du matériau devient chez Debré un vecteur d’immersion. Le spectateur est invité non pas à lire l’œuvre, mais à la traverser du regard. Aucune profondeur illusionniste n’est recherchée : tout se joue dans la frontalité du plan, dans son rythme visuel et tactile. Les formes ne renvoient à aucun motif lisible, à aucune figuration suggérée. Elles sont des présences. Cette tension entre fragmentation formelle et unité visuelle traduit avec justesse la volonté de Debré d’atteindre une émotion directe, immédiate, sans passer par la représentation.
On peut donc y lire l’influence encore vive de ses contemporains, mais déjà se dessine une écriture propre, tendue, expressive, construite autour du signe et de la matière. Le contraste entre la rigueur graphique et la liberté de la couleur génère une énergie intérieure, presque musicale, qui annonce les grands cycles gestuels de sa maturité artistique.
Peintre reconnu à l’échelle internationale, Olivier Debré a vu ses œuvres intégrées dans les plus grandes collections publiques et muséales, notamment en France, aux États-Unis et en Norvège. En 1995, une rétrospective majeure lui est consacrée à la Galerie nationale du Jeu de Paume à Paris, témoignant de sa notoriété grandissante. Quelques mois avant son décès en 1999, il est élu à l’Académie des beaux-arts de Paris, consacrant ainsi sa carrière. En 2017, le Centre de création contemporaine Olivier Debré est inauguré à Tours en présence de la Reine Sonja de Norvège, perpétuant son héritage artistique et son lien profond avec ce pays.
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