Marcel Gimond : La sculpture sans artifice

Né à Tournon-sur-Rhône en 1894, Marcel Gimond grandit dans un milieu d’artisan forgeron. Il se forme à l’École des beaux-arts de Lyon, puis à celle de Paris. Très tôt, il fréquente des figures majeures de son temps comme Aristide Maillol avec qui il travaille à Marly,  et passe ses hivers à Cagnes auprès d’Auguste Renoir. Il se lie aussi d’amitié avec André Derain.
Installé à Paris dès les années 1920, Gimond affirme un style sobre, à la croisée de la statuaire antique, de la Renaissance et d’un modernisme sans artifice. Il se spécialise dans le portrait et le nu féminin, qu’il aborde avec une grande économie d’effet, recherchant l’équilibre des masses et la justesse des proportions. Sa production comprend notamment près de cent cinquante bustes, dont ceux de George Besson, Frédéric Joliot-Curie, Jacques Hébertot ou Louis Jouvet.
Dès 1922, il expose au Salon d’Automne, au Salon des Indépendants, puis régulièrement au Salon des Tuileries. Lauréat du prix Blumenthal en 1924, il reçoit le Grand Prix de l’Exposition universelle de Paris en 1937. En 1936, il crée plusieurs sculptures pour le Trocadéro et le Palais de Chaillot avec Léon-Ernest Drivier et Paul Belmondo. Son œuvre connaît rapidement un rayonnement international, avec des participations à Belgrade, Berlin, Bruxelles, Buenos Aires, Genève, Melbourne, New York, Tokyo et à la Biennale de Venise (où une salle lui est consacrée en 1934). Il participe à de nombreux projets publics : en 1936, il réalise plusieurs sculptures pour le Palais de Chaillot au Trocadéro dont une figure en bronze doré représentant Flore. Il exécute également deux bas-reliefs en hommage à Marcel Cachin et Gabriel Péri, placés dans le hall du journal L’Humanité. Trois grandes expositions personnelles lui sont dédiées à Paris : à la galerie Joseph Biliet en 1920, à la galerie Brian-Robert en 1930, et au musée Galliera en 1946. 

Marcel GIMOND (1894-1961)
Nu au jardin, 1937

Bronze à patine brune
Signé, numéroté et cachet de fondeur sur la terrasse
E. Godard Fondeur, Paris, circa 1950
Edition 3/6 (pas d’épreuve d’artiste)
Hauteur 167 cm
Largeur 60 cm

Collection privée, Paris
Certificat de Madame Laurence Sallenave
Certificat de sortie du territoire

Pour Marcel Gimond, la vie sculpturale ne réside pas dans le jeu des lumières ou dans un modelé suggestif, mais dans l’organisation du volume et la continuité des plans. Chaque élément prend sens dans le dialogue avec l’ensemble, dans une architecture cohérente qui dépasse le détail pour viser l’unité. Ces principes, hérités d’une tradition classique exigeante, prennent toute leur force dans Nu au jardin, une œuvre où la figure se déploie avec une sobriété mesurée et une tension contenue, comme « pensée depuis l’intérieur ». 

Dans cette sculpture grandeur nature (167 cm), Gimond livre une interprétation du nu féminin tout en retenue et en densité. Le titre, évocateur mais non descriptif, suggère un cadre extérieur, un jardin, que rien dans l’attitude ou dans l’espace ne vient concrétiser. Ce dernier devient ainsi un espace mental, un lieu symbolique de calme, de retrait et de contemplation. 
Le corps féminin, debout, adopte une posture d’apparente simplicité : jambes croisées, bras gauche replié dans le dos, main droite levée au niveau du cou. Cette position rappelle discrètement le contrapposto des statues antiques, où lepoids du corps repose sur une jambe pendant que l’autre reste libre, introduisant un léger déséquilibre. Ce geste, sans affectation, invite à une forme de retrait paisible. L’inclinaison de la tête, le regard baissé, les traits adoucis du visage prolongent cette impression de recueillement. Tout dans cette figure semble tendu vers l’équilibre, sans rigidité ni raideur, comme suspendu dans un temps qui n’est plus celui de l’action.Le traitement plastique du corps témoigne d’une grande maîtrise formelle. Les masses s’enchaînent avec fluidité, sans rupture, dans un modelé continu. La patine brune du bronze accentue la douceur du relief. On perçoit dans chaque courbe, de l’épaule à la hanche, du buste au genou, une attention minutieuse portée aux transitions, révélant un travail rigoureux. Disciple d’Aristide Maillol, Gimond prolonge l’héritage de son maître en reprenant le principe d’une sculpture construite, harmonieuse, dégagée de tout pathos. Mais il s’en distingue par une approche plus intériorisée de la forme. Là où Maillol privilégie l’ampleur monumentale et la plénitude charnelle, Gimond préfère une grâce contenue, qui tend moins vers la sensualité que vers une recherche de silence et d’équilibre intérieur. 
Réalisée quelques années après son voyage à Londres en 1920, au cours duquel il découvre les chefs-d’œuvre des civilisations anciennes, Nu au jardin s’inscrit dans cette recherche d’un langage sculptural autonome, affranchi de toute imitation naturaliste. Gimond rejette la représentation mimétique du corps qu’il juge artificielle et sans fondement : « Une sculpture est une pierre. […] L’anatomie, dès lors, n’a pas plus de rapport avec la sculpture que la chimie. » Ce refus de l’anecdote anatomique se traduit ici par une figure dépouillée où chaque forme est pensée non pour reproduire un corps réel, mais pour exprimer une continuité fluide des formes.
Le visage, lisse et légèrement stylisé, s’inscrit dans cette même économie expressive. Les yeux mi-clos, le front haut, les lèvres fermées forment un masque de sérénité. Il ne s’agit pas d’un portrait individualisé mais d’une figure universelle. Ce refus de la caractérisation ouvre l’œuvre à une pluralité de lectures. La jeune femme pourrait tout autant incarner une présence méditative qu’un idéal de beauté atemporelle. La sculpture devient alors un lieu de projection pour le regardeur, un miroir sans réponse. 

L’arrière de la figure prolonge cette rigueur silencieuse dans une composition tout aussi maîtrisée. Le dos, à la fois lisse et subtilement articulé, laisse apparaître une ligne vertébrale discrète, animée par la légère torsion du buste. Le bras replié vient épouser la courbe du flanc avec naturel, soulignant le prolongement des volumes. La forme conserve son unité jusque dans les zones les moins visibles, comme si la sculpture, pleinement conçue en ronde-bosse, devait rayonner dans l’espace avec la même intensité, quel que soit le point de vue.
Enfin, le socle permet de détacher la figure de l’environnement réel. Elle ne repose pas sur un socle naturaliste (rocher, terre, gazon), mais sur une base géométrique, qui formalise sa présence et affirme son autonomie plastique. Ce choix ancre l’œuvre dans une tradition classique, tout en assumant une certaine modernité du rapport à l’espace. La sculpture se suffit à elle-même, ne demandant ni décor, ni légende. 
Conçue en 1937, la sculpture se distingue par sa position singulière. Alors que ses contemporains explorent des voies opposées, entre abstraction radicale (Csaky, Lipchitz) et expressivité figurative (Bourdelle, Despiau, voire Maillol), Gimond trace une ligne médiane. Il assimile discrètement certaines leçons du cubisme, notamment la synthèse géométrique des volumes et la structuration de la forme, sans céder à la fragmentation des plans. À l’opposé d’un modelé narratif, il choisit ici la sobriété et l’économie de moyens. L’œuvre s’affirme ainsi comme une réponse personnelle aux tensions de son temps : ni archaïsante ni provocante, mais résolument tendue vers une sculpture de la permanence. 
Cette sculpture témoigne ainsi de cette esthétique de la simplicité et du dépouillement qui caractérise l’œuvre de Marcel Gimond. Loin des excès expressifs ou des recherches formelles radicales de son époque, l’artiste choisit ici la voie d’une beauté épurée, ancrée dans la tradition mais résolument moderne par sa concentration sur l’essentiel. Nu au jardin incarne avec justesse cette conception de la sculpture que Gimond n’a cessé de défendre. Comme il l’écrivait lui-même : « Le but de la sculpture est la création d’un bel objet, doté d’une vie plastique plutôt que physiologique […]. La vie sculpturale n’est pas l’imitation des muscles et de la peau vus de l’extérieur, mais une création de l’esprit : une création architecturale, animée par un dynamisme intérieur. »
Aujourd’hui encore, ses sculptures figurent dans les collections de grands musées, du Centre Georges Pompidou au Musée d’Art moderne de Paris, mais aussi à Milan ou à Athènes, attestant de la portée durable de son œuvre.