Léonor Fini est née le 30 août 1907 à Buenos Aires d’un père argentin, et grandit avec sa mère à Trieste. Cet environnement culturel riche, peuplé de personnalités telles qu’Italo Svevo, Umberto Saba et James Joyce, nourrit Sa curiosité intellectuelle et artistique dès son plus jeune âge.
Autodidacte, elle commence à peindre pendant son adolescence, influencée par les œuvres de la Renaissance qu’elle découvre dans les musées. À 17 ans, elle participe à une exposition collective à Trieste, marquant le début de sa carrière artistique. Peu après, lors d’un séjour à Milan, elle rencontre des peintres tels qu’Achille Funi, Carlo Carrà et Arturo Tosi, et découvre l’École de Ferrare ainsi que les maniéristes italiens qui marqueront son œuvre.
En 1931, Léonor Fini s’installe à Paris, centre de l’avant-garde artistique de l’époque. L’année suivante, elle présente sa première exposition personnelle à la Galerie Bonjean, dirigée par Christian Dior. Elle se lie d’amitié avec des figures majeures de l’Art de l’époque telles qu’Henri Cartier-Bresson, André Pieyre de Mandiargues, Georges Bataille, Max Jacob, Paul Éluard et Max Ernst, sans jamais adhérer officiellement au mouvement surréaliste.
En 1936, elle effectue son premier voyage à New York et expose à la Julien Levy Gallery, galerie pionnière dans la promotion du surréalisme aux États-Unis.
La même année, elle participe à l’exposition collective emblématique « Fantastic Art, Dada and Surrealism » au Museum of Modern Art (MoMA), qui marque une étape importante dans la reconnaissance internationale du mouvement. En 1939 elle organise avec son ami Leo Castelli une exposition consacrée au mobilier d’artistes surréalistes, dont Salvador Dalí, Meret Oppenheim, Max Ernst et elle-même.
LÉONOR FINI (1908-1993)
« Élégante aux gants bleus »
Projet de théâtre pour « Les Bonnes » de Jean Genet
1960-1961
Gouache sur papier noir
Signée en bas vers la droite
31,3 x 23,8 cm
Certificat d’authenticité Monsieur Overstreet (Ayant droit de Leonor Fini) a confirmé l’authenticité de cette oeuvre par un certificat le 12 mars 2025
Provenance
Galerie Lambert – Monet, Genève
Collection privée, Lyon
À l’approche de la Seconde Guerre mondiale, elle quitte Paris avec son ami André Pieyre de Mandiargues, passe une partie de l’été 1939 en compagnie de Max Ernst et Leonora Carrington dans leur maison en Ardèche, puis part vivre à Arcachon auprès de Salvador et Gala Dalí. En 1940, elle s’installe à Monte-Carlo, où elle peint principalement des portraits, activité qu’elle poursuivra jusqu’au début des années soixante. En 1941, elle fait la connaissance de Stanislao Lepri, consul d’Italie à Monaco, qu’elle incite à devenir peintre. Lors de la libération de Rome en 1943, elle s’installe avec lui. De retour à Paris en 1946, elle retrouve son ancien appartement de la rue Payenne. En 1952, elle rencontre l’écrivain polonais Constantin Jelenski, avec qui elle partagera désormais sa vie.
Les années d’après-guerre sont marquées par une intense activité créative pour Léonor Fini. Elle crée des masques, participe à de nombreux bals costumés et conçoit des décors et costumes pour diverses productions théâtrales et lyriques, collaborant avec des metteurs en scène tels que George Balanchine, Roland Petit, Jean Mercure, Jacques Audiberti, Albert Camus, Jean Genet c’est cas de notre gouache) et Jean Le Poulain. En 1954, elle découvre un ancien monastère franciscain en ruine près de Nonza, en Corse, où elle s’installe et peint chaque été, trouvant dans ce lieu sauvage une source d’inspiration et de sérénité.
Passionnée de littérature et de poésie, Léonor Fini illustre plus d’une cinquantaine d’ouvrages, dont les œuvres de Charles Baudelaire, Paul Verlaine, Gérard de Nerval et Edgar Allan Poe. Elle continue également de créer des décors et costumes pour l’opéra et le théâtre, collaborant notamment à des productions telles que « Tannhäuser » à l’Opéra de Paris en 1963, « Le Concile d’Amour » d’Oscar Panizza au Théâtre de Paris en 1969, ainsi que pour le cinéma, avec des films comme « Roméo et Juliette » de Renato Castellani en 1953 et « A Walk with Love and Death » de John Huston en 1968.
C’est dans ce contexte de création théâtrale que s’inscrit Élégante aux gants bleus, réalisée entre 1960 et 1961 dans le cadre d’un projet de costumes pour la pièce Les Bonnes de Jean Genet. Cette œuvre dramatique met en scène deux domestiques qui, à travers des jeux de rôle troublants, inversent symboliquement la relation de pouvoir avec leur maîtresse. Léonor Fini traduit cette tension psychologique par des choix vestimentaires et graphiques affirmés, dessinant des silhouettes sophistiquées et théâtrales, construites sur des contrastes marqués et une stylisation affirmée de la figure.
La posture du personnage accentue cette théâtralité. Debout, légèrement cambrée, elle adopte une attitude affectée et sophistiquée. Son bras droit est posé sur sa hanche, renforçant une impression de maintien et de contrôle, tandis que son bras gauche est plié, la main effleurant son visage. Ce geste, qui peut évoquer la réflexion ou une certaine désinvolture, est amplifié par l’inclinaison subtile de la tête et l’expression du visage, où les traits esquissés traduisent une distance ou une retenue feinte. L’ensemble de la posture, combiné aux éléments vestimentaires, suggère une gestuelle étudiée, typique des figures mondaines et aristocratiques, soulignant le caractère construit et artificiel du rôle incarné.
L’œuvre est réalisée sur papier noir, un support qui absorbe la lumière et accentue les contrastes. La technique utilisée repose sur l’application de gouache, avec des tracés qui varient en épaisseur et en précision. L’image est verticale, mettant en avant une silhouette élancée qui occupe la quasi-totalité de l’espace. Le personnage est légèrement décalé vers la gauche, et le fond noir ne contient aucun élément décoratif, renforçant l’impression d’isolement du sujet.
Les contours du personnage sont majoritairement marqués par des tracés blancs et colorés, permettant de détacher la silhouette du fond sombre. Toutefois, cette démarcation est inégale : le haut du corps est bien défini grâce aux contrastes entre les teintes claires et sombres, tandis que le bas de la robe semble disparaître dans le fond noir. Cette disparition progressive est due à l’absence de remplissage coloré, laissant place uniquement à des lignes esquissées et discontinues, qui suggèrent la forme sans la matérialiser pleinement.
La palette utilisée est réduite, avec une dominance de noir, blanc, bleu clair et vert-jaune. Le contraste principal repose sur l’opposition entre le noir du fond, qui absorbe la lumière, et les touches claires appliquées sur le personnage, notamment le blanc utilisé pour le visage, le col et certaines parties du vêtement. Les gants bleus constituent l’élément chromatique central, attirant immédiatement l’attention. Le motif quadrillé en vert-jaune parcourt la robe sur toute sa longueur. Il est constitué de croisillons réguliers, créant une structure géométrique contrastant avec le fond noir.
L’artiste n’utilise pas de modelé marqué. Il n’y a pas d’ombrages progressifs, mais des aplats de couleur et des rehauts blancs, qui structurent la composition et suggèrent les reliefs (notamment sur le visage, la robe et le voile).
À travers Élégante aux gants bleus, Léonor Fini met en œuvre tout l’éventail de ses références artistiques, littéraires et théâtrales. Loin de se limiter à un simple projet de costume, l’œuvre révèle une vision construite du corps féminin, à la fois figure de théâtre, d’élégance et de tension psychologique. Son style, nourri par la Renaissance, le maniérisme, et une sensibilité surréaliste assumée mais autonome, se manifeste ici dans la précision des lignes, l’attention portée à l’attitude et le raffinement décoratif. Cette gouache condense ainsi les grandes orientations de sa carrière, le goût du travestissement, le pouvoir de l’image, et l’ambiguïté maîtrisée des figures qu’elle met en scène. Élégante aux gants bleus témoigne de l’art de Fini de conjuguer l’imaginaire pictural et le langage scénique dans une œuvre à la fois stylisée, silencieuse et expressive.
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