Réalisé en 1948, Divertissement n°2 marque un tournant dans la trajectoire artistique d’Honoré-Marius Bérard. L’œuvre s’inscrit dans une période d’intense reconstruction artistique, spirituelle et plastique, après les traumatismes de la Seconde Guerre mondiale. Deux ans après avoir cofondé le Salon des Réalités Nouvelles, Bérard s’impose comme une figure majeure de l’abstraction française indépendante. Refusant toute affiliation dogmatique, il développe un langage pictural nourri de spiritualité, de musique et de rigueur formelle.
Le titre de l’œuvre, Divertissement n°2, renvoie directement au Divertimento n°2 de Wolfgang Amadeus Mozart. Ce lien explicite inscrit la toile dans une dimension musicale, où le principe de variation, de clarté et d’équilibre devient moteur de composition. Bérard transpose les qualités du jeu mozartien (limpidité, invention, construction souple) dans un champ visuel entièrement abstrait. Il s’agit moins ici de peindre la musique que de penser la peinture comme musique.
HONORÉ-MARIUS BÉRARD (1896–1967)
Divertissement n°2, 1948
Huile sur toile
Signée en bas à gauche et datée
Monogrammée au dos « HMB », numérotée « 564 » et datée « 1948 »
Inscription manuscrite sur le châssis : DIVERTISSEMENT
65 x 81 cm
Bibliographie
Honoré Marius Bérard, Musée d’Art Moderne de Céret, juillet – août 1962, catalogue n°51 (cité)
L’œuvre repose sur une architecture savamment équilibrée. Une large courbe orange, presque calligraphiée, innerve la surface du tableau. Elle agit comme une ligne mélodique principale, autour de laquelle s’articulent des contrepoints visuels : plages colorées nettes, droites obliques et formes rectangulaires. La structure évoque une partition complexe, mais toujours lisible. Rien n’est laissé au hasard. Chaque segment, chaque interaction chromatique participe à une harmonie globale.
Le noir, utilisé par touches ponctuelles, stabilise la composition. Il ponctue la lecture du tableau, introduit des respirations et hiérarchise les tensions formelles. Loin d’alourdir, il recentre. Le rythme de la composition naît de cette alternance entre tension et relâchement, plein et vide, courbe et ligne droite.
La palette est typique des recherches menées par Bérard dès les années 1920 : couleurs saturées (orange, bleu, rose, noir) juxtaposées à des tons pastel (lilas, vert amande, beige pâle). Loin d’une volonté décorative, ces choix chromatiques relèvent d’une logique de résonance sensorielle. Bérard cherche à faire vibrer l’œil comme un instrument. La lumière ne provient d’aucune source figurative. Elle circule, diffuse, se diffracte à travers les rapports de couleur. Par effets de superposition ou de contraste, elle crée des zones de résonance, comme des silences dans une œuvre musicale.
L’espace, quant à lui, échappe à toute illusion perspectiviste. Il est structuré par le jeu des plans colorés, des axes et des courbes, dans une bidimensionnalité pleinement assumée. La toile se lit comme un espace de variations visuelles, un équilibre mouvant entre autonomie des formes et cohérence d’ensemble. Elle évoque moins un paysage qu’un état mental ou une partition spirituelle.
En 1948, le besoin de reconstruire n’est pas seulement politique ou matériel, mais aussi spirituel. Il ne s’agit pas d’oublier la guerre mais de réinventer un espace de paix par la couleur, la forme, le rythme. Si l’on compare cette œuvre à de l’Inquiétude à l’espérance (1942), peinte durant l’Occupation, Divertissement n°2 en constitue une forme de réponse apaisée. Là où la tension psychique était palpable, Bérard livre ici une œuvre de réconciliation. Il s’agit toujours de transcrire l’invisible, mais avec une sérénité retrouvée. On peut y lire un passage, à la fois pictural et existentiel,
« de l’inquiétude à l’espérance ».
Cette œuvre incarne ainsi une certaine éthique de l’abstraction : une peinture qui ne proclame rien, mais qui propose. Elle manifeste la foi intacte de Bérard dans les puissances silencieuses de l’art, dans sa capacité à dire l’invisible et à restaurer un lien sensible avec le monde. Divertissement n°2 n’est pas une fuite, mais une composition réparatrice, méditative, qui célèbre la capacité de l’art à ordonner le chaos et à produire du sens au-delà des mots. Comme une musique sans paroles, elle invite à l’écoute visuelle.