Dans la formation de ce qu’on appelle « L’École de Paris », les artistes venus d’Europe centrale et orientale ont joué un rôle de premier plan.
Tel est le cas de Henryk Hayden-Wurzel, né le 24 décembre 1883 à Varsovie, dans une famille de négociants aisés où il reçoit une excellente éducation. Grâce à la présence de gouvernantes étrangères, il maîtrise très tôt le français, l’anglais et l’allemand, en plus du polonais, langue quotidienne du foyer. Afin de garantir à leurs enfants un accès aux meilleures écoles et de contourner les restrictions imposées aux citoyens juifs sous l’Empire russe, la famille se convertit au protestantisme. Cette décision permet à Henri Hayden d’intégrer l’École polytechnique de Varsovie, conformément aux souhaits de son père, bien que sa passion pour la peinture soit déjà manifeste.
Au début du XXe siècle, la formation artistique à Varsovie demeure limitée, l’École des beaux-arts ayant été rétrogradée au statut de simple classe de dessin après l’insurrection avortée contre le régime tsariste en 1863. Grâce aux efforts d’un groupe d’artistes et d’intellectuels, le gouvernement russe autorise en 1904 la réouverture de l’établissement.
Henri Hayden fait partie des 157 premiers étudiants inscrits. Il intègre l’atelier du peintre Konrad Kryzanowski, son travail est apprécié et récompensé, il y rencontre l’éminent peintre symboliste Mikalojus Ciurlionis. Il renonce à sa formation d’ingénieur, provoquant un conflit familial.
Sous la pression de son entourage, son père finit par céder et accepte de financer son séjour à Paris pour un an, espérant qu’il y obtiendra une récompense officielle.
En 1907, Hayden s’installe à Paris, dans un atelier du boulevard Saint-Michel. Il fréquente l’académie de peinture de la Palette et passe l’été en Bretagne, notamment à Pont-Aven. Dès 1909, il expose au Salon d’Automne, et en 1911, il bénéficie d’une exposition personnelle à la galerie Drouet.
La création de Hayden se manifeste déjà par une gamme de couleurs toujours plus soutenue. Profondément marqué par Paul Cézanne, son œuvre est pour lui une source d’inspiration sur laquelle repose sa peinture.
Son travail jusqu’en 1914 est qualifié de « cézannien », caractérisé par une recherche de structure et d’équilibre. À partir de 1914-1915, il fréquente les cubistes et, sur recommandation de Juan Gris, il signe en 1915 un contrat d’exclusivité avec Léonce Rosenberg, directeur de la galerie L’Effort Moderne et fervent défenseur du cubisme.
Hayden devient une figure importante du cubisme synthétique.
Dès 1921, Hayden, considérant avoir « épuisé les ressources offertes par le cubisme », entame une réflexion sur la nature et la simplification des formes. Les volumes angulaires sont remplacés, le paysage réapparaît, le tout enveloppé dans une aire de mystère, le surréalisme est né.
Sous l’occupation allemande, Hayden se réfugie d’abord en Auvergne, où il retrouve Robert et Sonia Delaunay, avant de rejoindre Mougins sur la Côte d’Azur. En 1943, la menace nazie le pousse à s’exiler à Roussillon d’Apt (Vaucluse), où il se lie d’amitié avec Samuel Beckett.
Dans les années 1950, il peint dans la vallée de l’Ourcq et trouve son inspiration dans la campagne. Avec sa femme Josette, et sur les conseils de Samuel Beckett, il s’installe d’abord à Ussy-sur-Marne, avant de résider à Fay-le-Bac, puis au Limon. En 1964, le couple achète une maison à Reuil-en-Brie.
C’est dans ce cadre rural que son style s’affermit, tendant vers une représentation de l’essentiel. Ses paysages ne racontent aucune histoire anecdotique mais expriment l’affirmation d’une nature familière, avec la terre labourée, la Marne, et la lumière changeante. Il privilégie les aplats colorés, les lignes simplifiées et une palette plus intense.
En parallèle, ses natures mortes connaissent une évolution similaire. Les objets, d’abord ordonnés en compositions classiques, se dispersent progressivement dans l’espace. Un coquillage, une carafe, un samovar, réduits à des formes abstraites, semblent parfois se fondre dans le fond de la toile.
La notoriété de Hayden grandit au fil des années. En 1968, une grande rétrospective, « Soixante ans de peinture, 1908-1968 », lui est consacrée au Musée National d’Art Moderne, à l’initiative de la Société des Amis du Musée. L’exposition est inaugurée par André Malraux.
Ses œuvres figurent aujourd’hui dans les collections de nombreux musées français et internationaux, notamment aux Musées des Beaux-Arts de Paris, Lyon, Marseille, Nantes, Saint-Étienne, Troyes et Villeneuve-sur-Lot.
La palette chromatique repose sur une gamme restreinte mais intense, où les contrastes entre tons chauds et froids viennent rythmer la composition. L’artiste privilégie ici des aplats de couleurs vives, travaillés sans modélisation. La matière picturale est posée de façon lisse, évitant tout effet de texture épaisse. Ici, les verts en contraste avec les oranges, jaunes, noirs et rouges carmin.
L’approche adoptée dans Villemeneux s’inscrit dans la continuité de son travail paysager des années 1950-1960. On y retrouve l’influence de Paul Cézanne, notamment dans la recherche d’une structure géométrique sous-jacente, mais aussi celle du cubisme synthétique, où la simplification des volumes sert à une lecture immédiate de l’espace.
Le titre de l’œuvre renvoie au hameau de Villemeneux, situé à Brie-Comte-Robert (Seine-et-Marne), un territoire marqué par des champs agricoles et des fermes dispersées. Cet environnement paisible reflète l’intérêt d’Hayden pour une peinture contemplative, à contre-courant des courants artistiques contemporains axés sur l’urbanisme et l’abstraction radicale.
Les couleurs sont vives et parfois l’une est plus marquée que les autres, ici une sorte de symphonie en vert et un retour à l’esprit des Fauves.
Loin d’une reproduction fidèle du site, Villemeneux traduit une impression sensorielle : l’artiste ne cherche pas à documenter un lieu précis, mais à en capter l’essence à travers une harmonie de formes et de couleurs. Ce choix s’inscrit dans la continuité de sa vie à Reuil-en-Brie, où il s’imprègne quotidiennement des paysages de la vallée de la Marne.
Ainsi, avec ce tableau, le peintre poursuit son travail de simplification du paysage, marqué par une composition structurée et des couleurs équilibrées. Après une période cubiste, il évolue vers une peinture plus épurée et synthétique où la nature reste au centre de sa recherche. Cette œuvre reflète son attachement à un langage pictural clair et maîtrisé, combinant figuration et abstraction.
«Villemeneux» est un tableau qui était dans la collection personnelle de Josette et Henri Hayden, il a fait l’objet de plusieurs expositions majeures, notamment au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris lors de la rétrospective consacrée à l’artiste du 3 février au 4 mars 1977, ainsi qu’au Musée Thomas Henry de Cherbourg en 1997. Elle est reproduite en couleur dans le livre «HAYDEN» textes de Samuel Beckett, Philippe Chabert, Christophe Zagrodzki, par Pierre Célice qui fut l’ayant droit de l’artiste, p. 162.
Hayden est un peintre important et recherché, il est présent dans les plus grands musées du monde : MAM de Paris, musée des Beaux-Arts de Lyon, musée de Troyes, Copenhague, Barcelone, Pologne, Suède, Suisse, États-Unis, Art Institute of Chicago, Fondation Barnes, Philadelphie.