Maurice de VLAMINCK (1876 - 1958), Rue de village sous la neige, 1928

Huile sur toile signée en bas à gauche
38 cm x 46 cm

Provenance
Collection Docteur Francis Roucher 
Collection privée, Paris. 

Certificat de l’artiste au dos d’une photographie.

En faisant face à cette peinture sur toile, le regard du spectateur est tout de suite dirigé vers sa partie supérieure, et son ciel presque spectral, marqué par des tons gris. Il peut s’attarder vers la blanche éclaircie qui vient percer cette épaisse nappe terne qui obscurcit le ciel. Le rayon de soleil qui se fraie un chemin à travers les nuages se fait le relais du blanc glacé des toitures enneigées des quelques bâtiments, dans ce qu’on devine être l’entrée d’un petit village français.

S’il s’en tenait à la partie supérieure de ce tableau, le spectateur peut avoir le sentiment qu’il ne se passe rien. S’il est attentif, il identifiera quelques éléments de cette composition peu explicite mais emplie de sens et conteuse d’Histoire. Sur les pancartes accrochées à la façade du bâtiment le plus important, à la droite du tableau, on déchiffre des inscriptions : sur fond bleu « Renault autos », et sur fond vert pomme, plus haut et coupé par le cadrage, on devine « huile ». On observe également la présence d’une clôture à la droite de ce même bâtiment, que l’on voit partiellement et on peut déduire qu’il s’agit de panneaux publicitaires annonçant un garage automobile,  comme c’est fréquemment le cas à l’entrée de villes de petite taille. Un autre détail peut aussi attirer l’attention du spectateur : une silhouette d’un personnage vêtu de bleu, qu’on devine être une femme traversant la rue.

Quand bien même le spectateur remarquerait ces détails, ceux-ci ne l’avanceraient guère à trouver davaw&ntage de sens à cette œuvre que celui d’une peinture de paysage classique du premiers tiers du XXème siècle. Cependant, et en s’y attardant plus longuement, l’auteur de ce Paysage enneigé, l’artiste rattaché au mouvement fauve Maurice de Vlaminck y donne plus de complexité qu’il n’en laisse percevoir à son public au premier abord. Il convient pour la saisir, de considérer des éléments périphériques liés au contexte historique entourant la création de l’œuvre, et à la vie de son auteur.

Cette œuvre est datée de 1928, soit une vingtaine d’années après le fameux Salon d’Automne de 1905, auxquels ont participé et où ont été remarqué les artistes aujourd’hui rattachés au mouvement dit « fauve ». Y sont alors présentées des œuvres d’Henri Matisse, d’André Derain, et également de Maurice de Vlaminck.

Vingt ans plus tard, à la période de notre tableau, l’euphorie du début de la révolution artistique dont fait partie le mouvement fauve, a entre-temps été interrompue par le conflit majeur de la Première Guerre Mondiale, qui installe le chaos dans le monde artistique. Certains sont contraints à l’exil, comme l’écrivain Louis-Ferdinand Céline, d’autres décrivent très crument les horreurs de la guerre, comme les allemands Otto Dix et Georg Grosz du groupe dit « du réalisme magique » quand d’autres vont jusqu’à tragiquement y trouver la mort comme le poète Guillaume Apollinaire. D’autres comme André Derain, lui aussi issu du groupe fauve, voient leur œuvre radicalement bouleversée.

Durant cette période, Maurice de Vlaminck n’est pas envoyé au front du fait de sa famille et travaille dans une usine automobile Renault. Bien qu’il n’ait pas pris part ni été témoin direct des affrontements armés, on peut imaginer que comme tous les artistes, le peintre fauve ait été profondément bouleversé par cet évènement traumatisant.

Notre Paysage enneigé, exécuté dix ans après la fin de la guerre, pourrait s’inscrire dans le temps de ce conflit. Outre le bâtiment à l’inscription « Renault », c’est plus directement le calme et l’immobilité qui figent la composition qui pourraient évoquer cette idée au spectateur. En effet, les rues désertées, à l’exception de cette silhouette de femme se risquant à rallier l’autre extrémité de la route, sont assez significatives de la vie civile pendant la guerre. « L’arrière », la vie de la population restée en ville pendant que l’armée combat « à l’avant » (au front), pourrait être celle décrite par lui dans ce tableau.

Ce climat hivernal enneigé, nous bouleverse par ces couleurs étonnamment chaudes et en mouvement. Il se dégage de cet ensemble, une force et une énergie magnifique. 

Maurice DE VLAMINCK (1876-1958), Restaurant de la Machine à Bougival, 1905 huile sur toile, 60 × 81,5 cm, Paris, Musée d’Orsay

Concernant l’exécution plastique de notre tableau, son analyse nous permet d’observer à quel point, en près de vingt ans, son style a pu évoluer depuis le Salon d’Automne en 1905. Au moment de cet évènement, son travail est encore marqué par une appartenance à des figures stylistiques comme le postimpressionniste, comme en témoigne sa touche divisée dans une œuvre comme Restaurant de la Machine à Bougival, présentée au Salon d’Automne. Elle se caractérise par des couleurs très vives, saturées, parfois criardes, et une palette non imitative (les arbres peuvent être de couleur rouge).

Une autre référence stylistique de Vlaminck, alors jeune artiste, est la peinture de Vincent Van Gogh, que lui a présentée son ami Derain qui l’admire également beaucoup. Le terme visuel principal qu’il empreinte au peintre néerlandais est la façon d’organiser le paysage comme un « tourbillon », comme on peut particulièrement l’observer sur l’œuvre Champs de blé