Zao Wou-Ki (1920 – 2013) Sans Titre, 1953

Aquarelle sur papier
Signé et daté en bas à droite
30 x 45 cm
Certificat d’authenticité daté du 8 Novembre 2013

Provenance
Collection particulière, Paris.

Cette aquarelle du peintre chinois Zao Wou-Ki est exécutée en 1953. On peut y observer un certain nombre de poissons, dessinés à l’horizontale (on en dénombre sept), superposés de haut en bas de la composition. Des lignes fragmentées et interrompues, de couleur bleue, viennent sporadiquement ponctuer la juxtaposition de ces poissons et pourraient rappeler l’eau d’une rivière ou d’une mer où ils nageraient. Des éclats rouges interviennent aussi ponctuellement ; là encore, on ne sait s’il s’agit du sang de ces poissons, ou des reflets d’une lueur se répercutant à la surface de l’eau. 
Les seuls éléments identifiables de façon définitive sont ces poissons, stylisés en noir, et se détachant très distinctement sur cette feuille de papier blanc écru. Il s’agit d’un motif récurrent dans le travail de Zao Wou-Ki, auquel nous pouvons proposer quelques clés d’interprétation.   

Une compréhension de la nature morte
À son arrivée en Europe, Zao Wou-Ki découvre la nature morte, peu répandue en Chine, et en réalise de nombreuses entre 1948 et 1954, qu’elles soient à l’huile, à l’encre, ou à l’aquarelle. On pourrait ainsi considérer notre œuvre, par ce premier et élémentaire biais de lecture, comme une interprétation de la nature morte occidentale par un artiste chinois. On retrouve en effet dans d’autres de ses compositions des poissons, mais aussi des fruits ou des objets lui étant familiers ou symboliques. La Nature morte au Biba, de 1952, présente ainsi un poisson et un Biba (ou Pipa), un instrument à cordes traditionnel dans la musique chinoise. Les poissons, comme les objets culturels ou cultuels de la civilisation chinoise, fonctionnent comme des objets transitionnels qui ramènent Zao Wou-Ki à sa vie en Chine, pays qu’il a quitté, et auxquels il rend leur sens ou leur portée en les faisant figurer dans ses œuvres. C’est aussi un moyen pour lui de garder le contact avec son pays natal, où sa reconnaissance est plus tardive qu’elle ne l’a été en Europe, car il n’y expose qu’à partir de 1983. 

ZAO WOU-KI, Nature morte au Biba, 1952, huile sur toile, 64,5 × 99,5 cm

Les poissons dans l’astrologie chinoise
Dans l’astrologie occidentale, on dit que ceux nés sous le signe des poissons ont un bon pouvoir d’observation, de perception, et de jugement. Si le poisson ne fait pas partie des douze animaux astrologiques célébrés lors du nouvel an chinois, ces qualités se retrouvent dans le signe chinois du singe, qui est le correspondant des poissons occidentaux. 
Les poissons ont cependant un autre rôle dans les cultures visuelle et symbolique chinoises, et sont notamment liés au personnage de Qu Yuan, qui aurait été le premier poète chinois, et aurait vécu autour de 340-278 avant notre ère. Si peu de ses écrits subsistent aujourd’hui, Qu Yuan est également encensé pour ses vertus patriotiques lorsqu’il continue à rédiger des poèmes plein de ferveur sur le royaume de Chu, qui l’a pourtant calomnié et contraint à l’exil. Qu Yuan se suicide en se jetant dans la rivière Miluo.

Si on ne dispose pas de preuves faisant état du lien de notre aquarelle avec le récit de Qu Yuan, on sait que ce dernier est honoré par le peuple chinois, et notamment par la famille de Zao Wou-Ki, qui, enfant, jetait du riz dans l’eau pour éviter que son corps ne soit mangé par les poissons de la rivière. On peut en tout cas imaginer que Zao Wou-Ki ait voulu inscrire ce motif dans une histoire plus longue de l’art chinois, et également trouver une connivence de sa propre histoire avec celle du poète, appuyant la figure de l’artiste ayant quitté son pays où il était incompris. Dans cette compréhension de l’œuvre, notre aquarelle fonctionnerait  également comme un prolongement des habitudes familiales et cultuelles qu’avait Zao Wou-Ki en Chine. La recrudescence des poissons dans l’œuvre du peintre irait également en ce sens, comme en témoigne un tableau daté du 5 mai 1955 dont le titre indique qu’il s’agit d’un hommage direct au poète.

ZAO WOU-KI, Hommage à Chu-Yun – 05.05.55, 1955, huile sur toile, 195 × 130 cm.

L’abstraction occidentale et la calligraphie en Asie :
Notre aquarelle est datée de 1953, soit la période française de l’artiste, durant laquelle il vit à Paris, dans le quartier du Montparnasse, où il occupe un atelier attenant à celui du sculpteur Alberto Giacometti. Il est alors rattaché dans ses fréquentations à la scène artistique qu’on reconnaît aujourd’hui sous le nom de « nouvelle école de Paris » et côtoie alors d’autres peintres développant l’abstraction dans leurs œuvres, parmi lesquels Pierre Soulages, Hans Hartung, ou encore Nicolas de Staël. 
La recherche de l’abstraction chez Zao Wou-Ki est cependant assez inédite par rapport à ses confrères de la scène parisienne dans la mesure où elle va de pair avec le déploiement d’une identité asiatique de l’artiste à son public occidental. Il y a en effet dans ses œuvres un élancement des formes, une linéarité, qui peut évoquer la calligraphie, art visuel lié au texte et visant à inclure de l’image dans la lettre. Si cette pratique existe aussi dès l’époque médiévale en Occident, et dans le monde arabe, la calligraphie a une place particulière en Asie, et notamment en Chine, d’où est originaire Zao Wou-Ki. Elle y est même une étape importante dans l’apprentissage d’un artiste, qui en extrait un vocabulaire des formes et des volumes. Zao Wou-Ki apprend dès l’adolescence cet art, à travers les enseignements de son grand-père qui l’y initie. Si le jeune artiste prend très vite conscience qu’il souhaite porter sa peinture au-delà du paradigme imitatif et contraignant que lui imposerait une carrière d’artiste au service du régime chinois, ce n’est qu’au cours de sa vie en France, (où il arrive en 1948) qu’il parvient pleinement à s’épanouir, et élabore véritablement une perspective abstraite. On pourrait ainsi supposer que l’artiste, qui date notre aquarelle en chiffres arabes communément utilisés en Occident, mais la signe en caractères chinois, a trouvé en la calligraphie une voie d’accès à l’abstraction, qui s’accentue de plus en plus dans ses œuvres des années 1950, puis plus radicalement encore à partir des années 1960 où il rejoint l’abstraction lyrique.

Disparu en 2013, Zao Wou-Ki est un artiste consacré qui a fait l’objet de nombreux textes et d’éloges, comme Claude Roy, qui voyait en lui « un grand artiste » et « un des meilleurs peintres modernes », mais aussi de grandes expositions, la dernière en date étant la rétrospective s’étant tenue en 2018 au Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris. 
Zao Wou-Ki a été reconnu en France au point de se voir décerner la légion d’honneur en 1993 et d’être élu académicien en 2002 (son épée d’académicien est d’ailleurs aujourd’hui exposée au Musée Marmottan-Monet).
Nombre de ses œuvres sont aujourd’hui conservées par d’importants musées en France, comme au Centre Georges Pompidou, mais aussi à l’international, au Musée Guggenheim de New York, à l’Art Institute de Chicago, à la Tate Gallery de Londres, au Musée Thyssen-Bornemisza à Madrid ou dans des collections de musée en Asie, où il connaît, depuis sa mort, également une reconnaissance plus importante. C’est un artiste qui dispose d’une côte solide sur le marché de l’art, au sein duquel il est une valeur sûre.