Castaño : La Couleur en Héritage

Né à Cuba en 1932, Castaño emporte avec lui, dans sa palette, toute la chaleur, la lumière et la magie des Caraïbes. D’abord formé à l’architecture et à la peinture, il quitte son île natale en 1959 grâce à une bourse, s’installe à Paris… et ne reviendra jamais à Cuba. L’exil est silencieux, mais l’œuvre, elle, sera tout sauf nostalgique. Dans la grisaille parisienne, sa créativité semble un temps suspendue, avant de ressurgir, fulgurante, nourrie par les visites quotidiennes au Louvre et l’appel vibrant de la couleur. 
Très vite, les noirs et gris de ses débuts laissent place à une explosion chromatique. Castaño ose. Ses toiles s’illuminent de rouges fougueux, de roses flamboyants, de verts tendres ou profonds, de bleus denses. Il applique parfois la couleur à la laque, donnant aux aplats un éclat inimitable, ce qui faisait dire à Sonia Delaunay, son amie, qu’il peignait « lavable”, plaisanterie affectueuse pour saluer une audace rare.  
Son œuvre est structurée par une géométrie joyeuse : cercles, triangles, lignes franches composent un univers qui bannit la perspective au profit d’une spatialité colorée. À cette rigueur formelle répond un imaginaire débordant où se mêlent humour, amour et poésie. Le peuple cubain, les animaux familiers, la musique, les femmes-rivières, les oiseaux fantastiques peuplent ses toiles avec tendresse et malice.  
Avec Au cœur de midi, Castaño livre une œuvre incandescente, à la fois musicale, géométrique et solaire. Réalisée en 1967, cette grande toile carrée marque l’un des temps forts de sa période parisienne, moment où l’artiste, affranchi de toute retenue chromatique, compose des images libres et intenses.
Le fond jaune domine la composition. Il évoque le plein midi, cette heure de bascule où la lumière est verticale, sans ombre ni relâche. Le regard est happé, d’emblée, par cette clarté dense et rayonnante qui semble irradier depuis la toile elle-même. L’artiste fait de ce tableau une source de chaleur visuelle.  

CASTAÑO (1932-2009)
Au cœur de midi
Laque sur toile
Signée et datée en bas à droite
Signée, Titrée et datée 67 au dos
115×115 cm

Provenance : 
Famille de l’artiste

Au centre, une forme rectangulaire noire, cernant une réserve de jaune, agit comme un point d’origine. Difficile de ne pas y voir l’image d’une boîte à magie comme Castaño en a souvent peint. De ce coffret visuel semble s’échapper une énergie vivante. Deux grandes masses symétriques semblent se déployer de chaque côté, comme deux ailes. Ces formes, bordées de blanc, sont peuplées de cercles multicolores, de motifs géométriques simples mais rythmés. Certains rappellent des roues, d’autres des fleurs ou des cellules. Le geste de Castaño est net, précis, mais toujours expressif.
Plus haut, une grande arche bicolore, rose, vert, bleu, rouge, s’élève comme un arc-en-ciel stylisé, venant coiffer l’ensemble et renforcer la dynamique verticale. En bas, une large bande blanche striée de noir jaillit de l’espace central, telle une route, un faisceau de projecteur ou un jet d’énergie. La tension est renforcée par une imposante flèche rouge et blanche orientée vers la droite : comme un signal, une direction, une poussée. Signe graphique par excellence, elle introduit un accent presque urbain dans la composition, comme un écho lointain aux codes visuels du graffiti ou de l’affiche.

Tout ici est mouvement. Rien n’est figé, et pourtant l’ensemble est parfaitement structuré. Castaño mêle rigueur architecturale et liberté plastique. Il reprend des éléments du langage moderniste : aplats, motifs abstraits, cerne noir, pour les détourner dans une langue visuelle propre, chaude, populaire, ancrée dans la mémoire caribéenne et l’imaginaire ludique. On pense à la signalétique urbaine, aux ex-voto, aux boîtes de magie, aux dessins d’enfants. Mais tout est réinventé.
La peinture n’est pas seulement à regarder, elle se ressent comme un rythme. Elle donne envie de bouger, de chanter, de sourire. Il y a quelque chose de musical dans cette juxtaposition de formes et de couleurs, comme une improvisation de jazz ou une fanfare chromatique. C’est une peinture qui parle fort, mais sans violence. Elle est habitée d’une vitalité presque contagieuse. 
Au cœur de midi condense plusieurs dimensions de l’œuvre de Castaño : la jubilation de la couleur, le goût des formes élémentaires, l’humour discret, et surtout cette manière unique de capter la lumière du monde pour la restituer en signes vivants. Cette toile, à la fois structurée et fantasque, s’inscrit dans une tradition qui irait de Matisse à Sonia Delaunay, mais avec une voix propre, indisciplinée, vivante et profondément chaleureuse. 
Ainsi, en 1967, Castaño a définitivement quitté les gris de son exil. Avec Au cœur de midi, il affirme, en pleine lumière, une peinture libre, solaire, qui n’imite rien mais invente tout. Tout est là : l’explosion de la couleur, la pulsation du rythme, l’élan joyeux d’une vision qui ne se contente pas de représenter, mais qui cherche à transmettre une énergie. 
Peintre de la couleur, de la joie, de la musique, mais aussi poète et magicien, Castaño est inclassable. Fidèle à lui-même, insensible aux modes, il a composé tout au long de sa vie une œuvre lumineuse, généreuse, habitée par l’imaginaire. Il s’est éteint en 2009, refermant pour toujours sa « boîte à magie » mais laissant derrière lui des toiles comme autant d’éclats vivants qui continuent, encore aujourd’hui, de vibrer au rythme du midi. Ses tableaux ont rejoint de nombreuses collections publiques : à La Havane, Mexico, São Paulo, Paris ou Miami.